Incertitude existentielle et défi du sens

Nos difficultés peuvent être comprises comme des adaptations sensées à une vie qui nous paraît trop complexe et trop incertaine.

Ce qui caractérise l’être humain, c’est son désir insatiable de répondre à la question « qui-suis-je » ? Nous voudrions avoir une identité, un point d’ancrage, une certitude indubitable.

Mais la vie nous propose un contexte d’expériences et des situations sans cesse changeants : des personnes, des lieux, des stimuli, des besoins, des sensations, des émotions toujours différents. Ajoutons à cela qu’il est impossible de prévoir ou contrôler avec une certitude absolue non seulement ce qui se présentera à un moment donné comme stimulus à notre expérience, ni comment nous allons le vivre et y réagir. Bien entendu, il ne nous est pas non plus possible de savoir à l’avance comment nous allons faire l’expérience de nous-même à un moment T, c’est à dire quel sens nous allons donner !

Autrement dit, nous sommes sans-cesse « Jetés » dans des situations et avec des données qui échappent à notre contrôle. Du point de vue existentiel, ce sont ces limitations qui donnent du sens et de l’importance à nos choix.

Formation à la psychothérapie humaniste et intégrative

Ce que nous pouvons faire c’est choisir la réponse que nous allons apporter à ce qui nous est donné, c’est à dire le sens que nous allons attribuer à la situation et la direction que nous allons donner à notre vie sur cette base.

Ce que je déclare être « moi-même », « les autres », « le monde », « le vrai » etc, est en réalité le fruit du choix d’interprétation qui découle en continu de mon expérience de relation au monde, c’est à dire des situations relationnelles, sans cesse changeantes de mon existence.

Dit plus simplement, cela signifie que nous créons en continu, et ce, dès la naissance, un « récit inédit et non reproductible » à propos de nous même et du monde. Ce récit, nous le pensons être « la réalité » alors qu’il ne s’agit que d’une manière singulière et subjective d’organiser la multitude d’expériences relationnelles qui constituent notre existence et de leur prodiguer un sens.

En somme, il s’agit donc d’un choix de signification donnée, et non d’une réalité de fait, là, quelque part, dans le monde. Dans notre désir d’avoir une identité, c’est à dire une continuité dans le temps et une localisation dans l’espace, dans notre préférence d’être quelque chose plutôt que rien, nous construisons activement un sens cohérent de nous-mêmes et du monde (cosmovision) à partir des événements aléatoires de notre vie.

Le besoin de sens, la vision du monde comme remède à la crise existentielle

Cependant, cette représentation essentiellement statique du sens de la vie est continuellement remise en question par nos rencontres quotidiennes avec la relativité dynamique de l’existence dans ses quatre dimensions :

  • dimension physique : la mortalité, le temps qui passe, le vieillissement, les multitudes de changement dans mon corps, les conditions matérielles et économiques, les déménagements…
  • dimension sociale et culturelle : les altérations dans les relations interpersonnelles (couple, famille, amis…) et les évolutions d’appartenances à des construits sociaux (enfant, adolescents, chômeurs, salariés, …)
  • dimension personnelle : le changement permanent de mes émotions, sensations, désirs, pensées, sentiment de confiance et/ou d’estime de moi…
  • dimension spirituelle et éthique : l’évaluation de la valeur et du sens de chaque situation spécifique dans son contexte spécifique.

Autrement dit, dans chacune de ces 4 dimensions, la vie est un flux de changement permanent, et ne permet donc d’affirmer aucune certitude en ce qui concerne le sens de nous-même et du monde.

Mais puisque le chaos de la vie est source d’angoisse, il est logique que l’être humain tente d’y faire face en tentant d’apporter de la structure, c’est à dire du sens.

Bien évidement, se voir en permanence nu et sans contrôle face à l’incertitude de l’existence, est effrayant et désagréable pour la plupart d’entre nous, raison pour laquelle il est commun de combattre ou de nier sa présence. Le dilemme fondamental est le suivant : « Comment puis-je vivre comme s’il y avait une certitude de sens à propos de moi et du monde tout en sachant qu’il n’y en a pas » ?

D’un point de vue existentiel, de nombreuses perturbations psychologiques, si ce n’est toutes, ont pour origine un conflit entre les « données » de l’existence (incertitude, vulnérabilité, finitude, relations humaines, liberté de choix de sens….) et notre réaction face à celles-ci, qui consiste soit à tenter d’assumer les limites et les défis de sa condition en « figeant » sa compréhension du monde et en sédimentant ses habitudes relationnelles, soit en étant pris par l’angoisse qui accompagne un sentiment de doute et de non-sens permanent.

En d’autres termes, les « symptômes » indésirables dont les personnes veulent se défaire, sont eux-mêmes des défenses contre l’acceptation de la responsabilité à répondre aux diverses questions que soulèvent quotidiennement le fait d’être humain et qui devraient nous amener à ré-évaluer en permanence le sens donné (définition existentialiste de la vie authentique).

Ceci veut dire que les symptômes sont les effets secondaires :

  • De nos tentatives de contrôler le flux existentiel en réduisant les limites (la circonférence) de notre monde à ce que nous sommes capables d’endurer ;
  • De nos esquives face à la responsabilité de choisir le sens que nous donnons à notre existence en dépit et dans la limite de ce qui nous est donné à vivre.
Crise du sens de la vie

Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de noter que l’anxiété existentielle ne désigne pas seulement des vécus invalidants et indésirables de malaise, de nervosité, de souci et de stress. Le principe de l’angoisse existentielle inclut certes ces perturbations et ces troubles, mais il cherche à englober une expérience beaucoup plus généralement ressentie d’incomplétude et de potentialité perpétuelle, autrement dit une ouverture aux possibilités d’expériences de vie. Dans cette définition plus large, l’angoisse existentielle peut-être à la fois exaltante et débilitante, elle peut-être une incitation à prendre des risques aussi bien qu’une incitation à la paralysie, un peu comme on parle aujourd’hui de « bon » et de « mauvais » stress.

L’angoisse saisit l’individu qui se sait « Jeté », « vers la mort » et qui se rend compte que c’est lui qui se choisit et qui choisit également les valeurs qui le guideront dans son existence et qui définiront le sens de sa vie. L’anxiété existentielle englobe toutes nos réponses à l’incertitude relationnelle de l’existence. Il ne s’agit donc pas tant de se soucier du fait que l’angoisse existentielle existe, mais plutôt de se questionner sur la manière dont chacun d’entre nous vit avec elle. Il est clair qu’elle peut susciter, et provoque même souvent, des sentiments de désespoir, de confusion et de désorientation. Il nous appartient de décider si nous voulons l’accepter, la combattre, la fuir ou la nier.

Ce qui est central dans la notion d’angoisse existentielle, est qu’il s’agit d’un sine qua non de l’existence en tant qu’être humain. Elle est l’affect qui nous saisit à chaque fois que nous nous confrontons à la possibilité du néant ou de l’infini des possibles. L’angoisse est donc en quelque sorte l’énergie de vie requise pour créer quelque chose à partir de rien, puisqu’aucune expérience n’est jamais identique.

Si nous acceptons l’anxiété, c’est à dire la vulnérabilité et l’incertitude, l’anxiété demeure, mais elle peut être alors vécue comme un appel à la réalisation de quelque chose que nous n’avons jamais fait auparavant et qui donnera du sens et de la valeur à notre existence. Ainsi, l’expérience de l’angoisse existentielle peut être stimulante, elle peut réveiller ou améliorer notre connexion au fait d’être en vie et susciter notre créativité. Des expériences ressenties telles que la curiosité, le désir, l’espoir et ou l’empathie, sont toutes des variations de l’angoisse existentielle.

Comme nous le verrons ailleurs dans ce site, la thérapie existentielle confronte ces tentatives d’évitement de l’anxiété existentielle et met en lumière les conséquences néfastes qui peuvent en résulter plutôt qu’elle ne propose de fournir les moyens de réduire ou d’éliminer l’anxiété de la vie, comme cela est souvent proposé par d’autres modèles de thérapie.

L’idée est la suivante : l’anxiété ne peut être évitée, mais elle peut être réduite à un niveau vivable, où elle peut alors être utilisée comme une stimulation pour aiguiser l’envie de vivre pleinement sa vie.

Le monde en 4 dimensions

Les existentialistes, qu’ils soient philosophes ou thérapeutes, cherchent à éviter les modèles restrictifs qui catégorisent ou étiquettent les personnes en les réduisant à des composants partiels. Au lieu de cela, ils recherchent les données universelles qui peuvent être observés de manière trans-culturelle.

En conséquence, il n’existe pas de théorie de la personnalité existentielle qui diviserait l’humanité en « types ». Au lieu de cela, il est possible de distinguer quatre aspects simultanés de notre manière d’être-au-monde, quatre strates d’expérience et d’existence auxquelles nous sommes inévitablement confrontés.

Dans chacune de ces 4 dimensions, nous sont offertes un certain nombre de possibilités et d’opportunités en même temps que nous sont posées des limites et des défis que nous devons prendre en compte et auxquels nous devons apprendre à faire face.

La clé ici est l’acceptation du caractère paradoxal de l’existence. Aussi, il est important de comprendre que ce qui fait l’existence d’une personne à un moment donné c’est l’expérience qu’elle fait de chacun des quatre domaines de façon simultanée.

La dimension physique de l’existence

Elle a trait à nos dispositions relationnelles vis à vis des données du monde naturel, ce qui inclus notre corps, celui des autres, les paysages et les lieux, les objets et les possessions matérielles, le confort, le plaisir, la faim, la santé, la maladie, la mort…

PARADOXE

Alors que dans cette dimension les personnes aspirent généralement à la survie à travers la recherche de santé et de richesse, les maladies physiques, petites et grandes, nous rappellent notre fragilité ; les revers de fortune et les pertes amènent à la prise de conscience que cette sécurité ne peut être que temporaire. Bien que chacun de nous soit limité par des invariants biologiques innés, nous fournissons toujours des significations et interprétations uniques du monde physique dans lequel nous vivons.
Certaines personnes considèrent cette dimension physique comme étant essentiellement harmonieuse, sûre et agréable tandis que d’autres la vivent comme un fardeau ou s’angoissent à cause des dangers perçus, des doutes, des injustices, etc.

TENSION

En somme, il existe une tension dans cette dimension entre la recherche de satisfaction par la domination et le contrôle des lois naturelles (par la science, le sport, l’alimentation…) et la nécessité de reconnaître l’existence de limites intrinsèques à la vie (comme le vieillissement, la mortalité, les réserves de ressources naturelles…).

L’idée sous jacente exploitée en psychothérapie existentielle est que le conflit existentiel dans cette dimension découle de cette tension entre la conscience de l’inéluctabilité de la mort et le désir de continuer à être.

La dimension sociale de l’existence

Elle a trait à nos dispositions relationnelles vis à vis des autres et de la sphère publique, ce qui inclus la culture dans laquelle nous vivons et les catégories (sociales, d’âge, de sexe, origine ethnique…) , environnements (familial, économique, politique, travail…) et groupes sociaux auxquels nous appartenons ou auxquels nous n’appartenons pas.

PARADOXE

Alors que dans cette dimension les personnes aspirent généralement à se faire une place, à travers la coopération ou la compétition, les séparations et les échecs amènent à la prise de conscience que toute position dans l’espace groupal ou sociétal est temporaire. Tôt ou tard, nous sommes tous confrontés à l’isolation et au fait que personne ne peut savoir à quoi cela ressemble que d’être nous.

Les déductions que chacun de nous établit à propos de sa classe sociale, de son sexe, des règles et codes de notre société (et de ceux qui les font appliquer), de son environnement de travail… peuvent chacune nous amener à développer un large éventail de comportements et de valeurs. Ce qui se joue dans la dimension sociale de l’existence, c’est le rapport qu’entretient la personne avec son monde et son contexte familial, amical, communautaire, culturel, confessionnel, professionnel, légal, politique… Dit autrement, c’est dans cette dimension que nous nous définissons en termes d’appartenance (à une catégorie socio-professionnelle, à une nationalité, à un genre, à une religion…) et de « non appartenance » autrement dit de différence.

Certaines personnes recherchent aveuglément l’acceptation du groupe en se pliant aux règles et aux modes du moment, d’autres recherchent l’admiration en devenant elles-mêmes des avant-gardistes ou des personnes d’influence et de pouvoir. Enfin, certaines proclament leur différence ou leur indépendance, mais cela reste une manière de manifester sa place en rapport aux autres.

Nous pouvons nous sentir responsabilisés ou invalidés par nos interactions avec la sphère publique, elles peuvent engendrer des sentiments d’acceptation ou de rejet, de domination ou de soumission, de conformisme ou de rébellion, d’amour ou de haine. Le monde social peut être perçu comme aimant et respectueux, ou bien mesquin, méchant et dangereux au point où il doit être évité autant que possible.

TENSION

En somme, il existe une tension dans cette dimension entre le désir de disposer de « grilles de lecture » des autres débouchant sur des repères relationnels et la nécessité de reconnaître la singularité, l’isolation et la liberté de chacun.

Il y a là une tension entre notre volonté d’exister en tant que sujet singulier et donc différent, et notre nécessité de nous sentir « appartenir » et donc de tenir compte des autres : coopérer ou combattre ? Aimer ou haïr ? Accepter ou rejeter ? Dominer ou subir ? Se conformer ou se séparer ? Fission ou Fusion ? Dépendance ou Solitude ?

L’enjeu ici est de trouver un mode d’être avec autrui dans lequel moi, je ne suis pas aliéné, et dans lequel l’autre, n’est pas chosifié.

La dimension personnelle (ou intérieure) de l’existence

Elle a trait à nos dispositions relationnelles vis à vis de nous-même, ce qui inclus notre personnalité, nos expériences passées, nos possibilités futures, nos capacités et compétences, notre estime de soi mais aussi les personnes que nous avons introjectés et que nous expérimentons comme étant des parties de nous-même…

PARADOXE

Alors que dans cette dimension les personnes aspirent généralement à se forger une identité, à être confiant quand au sentiment d’être substantiel, d’avoir un « moi » stable à travers l’identification à leur vision du monde, de nombreux évènements ne cessent de leur rappeler qu’elles font sans cesse des choix de signification et d’actions qui impactent qui elles deviennent, leur révélant ainsi que leur « Moi » est une libre construction dont ils sont responsables et qui finira par se dissoudre dans la mort.

La pleine conscience de notre liberté nous confronte à notre responsabilité et, par voie de conséquence, à expérimenter de la culpabilité (au sens : sentiment de ne pas être « la meilleure » version de soi-même possible). Cette dimension est donc le fruit de notre réflexion sur nous-même et peut donc inclure les relations aux choses et aux personnes que nous avons introjectés et que nous expérimentons comme étant des parties de nous-même.

Les changements permanents auxquels les conditions existentielles nous soumettent sont source d’insécurité et d’angoisse existentielle (cf. non sens / choix) et par conséquent, nous avons tendance à nier notre liberté de choix et donc notre responsabilité (cf. Mauvaise foi) et plutôt réagir en « pilote automatique » (Cf. inauthenticité) et à nier la réalité des faits ou à nous voir comme étant une chose mue par des cause, et à nier notre liberté.

TENSION

En somme, il existe une tension dans cette dimension entre le désir de « se savoir être » et la nécessité de reconnaître la responsabilité qui en découle et qui consiste à se choisir à chaque instant (cf. Authenticité) et donc à détruire qui nous étions précédemment. C’est à cette dimension que se réfère la littérature psychologique de l’estime de soi.

La dimension spirituelle (ou éthique) de l’existence

Elle a trait à nos dispositions relationnelles vis à vis des aspects abstraits et métaphysiques de l’existence, ce qui inclus notre rapport au mystère et à l’inconnu, à la religiosité, au sacré, notre vision du sens de la vie, les croyances que nous entretenons à propos de la vie, de la mort, de l’existence…

PARADOXE

Au cours de notre chemin de vie, de la naissance à la mort, nous démarrons avec quelque chose qui nous est donné, c’est à dire qui n’est pas à nous et que nous n’avons pas demandé : notre existence individuelle. Notre tâche est de nous en rendre propriétaire en en faisant quelque chose de personnel… tout cela pour la perdre quand nous mourrons. Le défi le plus fondamental de la vie, du développement humain, est de trouver un moyen de vivre avec cette absurdité apparente et de découvrir des manières d’être qui nous procurent ce dont nous avons besoin, tout en gardant à l’esprit que ce dont nous avons besoin change à chaque instant.

Alors que dans cette dimension les personnes aspirent généralement à déterminer le sens de l’existence en en adoptant un système de valeurs morales sur lequel fonder leur rapport à la vie, elles rencontrent souvent des situations limites (souffrance, culpabilité, mort…) qui leur fait réaliser que le système de valeurs selon lequel elles vivent est en réalité redéfini à chaque instant par elles et par elles seules, et qu’il n’est pas absolu. C’est ce que l’on entend par « absurdité ».

L’absence de sens et l’absurdité sont des expériences courantes, et la plupart d’entre nous les craignons tellement que nous ferions n’importe quoi pour les éviter, raison pour laquelle nous identifions des valeurs qui justifient le fait de vivre et de mourir. Pour certaines personnes, cela se fait à travers l’adoption d’une vision du monde normative (dogme religieux, idéologie politique ou philosophique). D’autres formulent une mission de vie plus personnelle en s’engagent dans la construction d’un monde meilleur. Quoi qu’il en soit, en général, l’objectif est de trouver « une âme », c’est à dire quelque chose qui surpasse la mortalité humaine, qui donne un sens à la vie en dépit de la mort. Cette quête de l’éternel se teste dans l’expérience unique et historique des ruptures existentielles, des situations limites (Cf.Jaspers) qui nous placent face au vide et à la possibilité du néant.

TENSION

Les tensions auxquelles il faut faire face dans cette dimension sont entre sentiment de sens et sentiment d’absurdité de la vie (Cf.Frankl), entre espérance et désespoir (cf.Kierkegaard).