Origines et approches de la Psychothérapie Existentielle

Des racines philosophiques

Une psychothérapie existentielle, nous verrons qu’il en existe plusieurs types, peut se définir comme « une forme de pratique thérapeutique qui s’appuie principalement sur les réflexions menées par le courant de pensée philosophique généralement dénommé Existentialisme ». En conséquence, pour comprendre la nature des thérapies existentielles, il est nécessaire d’avoir un minimum de compréhension de la tradition philosophique sur laquelle elles s’appuient.

La philosophie à son origine, devait être pour chacun une méditation sur sa vie, une élucidation de son existence humaine. D’ailleurs, dans son Introduction aux existentialismes Emmanuel Mounier écrit qu’ « il n’est pas de philosophie qui ne soit existentialiste […] on se demande ce que ferait une philosophie si elle n’explorait l’existence et les existants ». Ceci signifie que l’on retrouve des traces de réflexion sur l’existence et le rapport à l’existence aussi bien chez les Stoïques, chez Socrate, que chez les présocratiques comme Héraclite de même que dans des textes bibliques ou des enseignements bouddhistes.

Racines philosophiques de la psychothérapie existentielle

Ainsi, la philosophie hellénistique, il y a plusieurs millénaires, s’est posée comme étant une méthode, une recherche disciplinée de « la vie bonne » (eudaimonia). Sa mission originale était de comprendre, de clarifier et de solutionner les réalités concrètes des gens ordinaires.

Il y a toujours eu un volet de la philosophie qui se préoccupait des questions humaines, celui de la philosophie éthique (Kant, Rousseau, Spinoza, Hume…), mais au fil de l’histoire, la philosophie s’est détachée de ses premiers objectifs pour s’orienter vers la recherche de vérités universelles visant à expliquer le monde, figeant petit à petit l’existence dans un univers « conceptuel » et, à mesure qu’elle a engendré les sciences, elle est devenue de plus en plus abstraite et a, dans le même temps perdu de vue sa propre mission en s’écartant toujours davantage de la réalité de la vie en tant qu’expérience concrète vécue par une personne en particulier.

Pour penser l’existence, les rationalistes et idéalistes (comme Hegel) ont dû la figer dans un univers « conceptuel » et se sont ainsi écartés de la réalité de la vie en tant qu’expérience concrète vécue par une personne en particulier. Comment parler de la vie en général, alors que tout ce dont je fais l’expérience, c’est de ma vie à moi, à ce moment précis ? La seule certitude possible est celle de mon existence : je suis tel homme, particulier, existant. La philosophie à son origine, devait être pour chacun une méditation sur sa vie, une élucidation de son existence humaine. Et c’est précisément là qu’échouent tous les systèmes rationalistes : ils dissuadent l’individu de se centrer sur lui-même et d’obéir à sa vocation originale d’être un existant, un individu, original et authentique.

L’existentialisme

La raison a pris une place tellement importante dans la vie et le langage de l’homme que l’essentiel a été oublié : l’existence.

Même si notre société, notre médecine, notre technologie, notre justice, reposent entièrement sur la raison et les faits, la raison et les faits ne semblent pas ou très peu faire face à nos problèmes et préoccupations les plus profonds : Qu’est-ce que l’amour ? Qu’est-ce que la mort ? Quel est le sens de la vie ? Comment devrais-je vivre ma vie ?

C’est sur la base de ce type de questionnement que vont se construire les pensées proto-existentialistes que sont Søren Kierkegaard (1813-1855) et Friedrich Nietzsche (1844-1900) en ce sens qu’ils apportent le fond, les principes, les idées sur lesquelles travailleront leurs successeurs.

Disons-le simplement : Les philosophies de Kierkegaard et Nietzsche attirent l’attention sur le vécu subjectif de l’individu et fournissent ainsi une excellente base pour le type de philosophie qui peut éclairer la pratique de la psychothérapie existentielle.

Kierkegaard-Nietzche-psychothérapie-existentielle

Pour parvenir à l’existentialisme en tant que mouvement philosophique d’ampleur, il faudra attendre la jonction entre les pensées de Kierkegaard et la méthode de Husserl, la phénoménologie, qui s’intéresse à la manière dont fonctionne la conscience, l’esprit humain et qui fourni une méthodologie plus concrète d’investigation des problèmes humains.

C’est ainsi qu’au début XXe siècle la phénoménologie existentielle, ou existentialisme, va réellement prendre de l’importance à travers les œuvres de Karl Jaspers et Martin Buber dans les années 1930, pour enfin prendre sa pleine ampleur après la Seconde Guerre mondiale dans les écrits de Martin Heidegger, Gabriel Marcel, Albert Camus, Maurice Merleau-Ponty, Simone de Beauvoir et, sans doute le plus connu d’entre tous, Jean-Paul Sartre.

Précisons tout de suite que la philosophie existentielle est loin d’être un ensemble cohérent d’idées. Par exemple, alors que….
– certains existentialistes sont profondément religieux (Kierkegaard, Buber, Marcel),
… d’autres sont des athées convaincus (Nietzsche, Sartre et Camus).
– certains insistent sur l’importance du choix de soi (Kierkegaard et Nietzsche)
… d’autres appellent à la transcendance (Buber et Jaspers).
– certains considèrent l’existence comme fondamentalement dépourvue de sens (Sartre et Camus),
… d’autres insistent sur l’importance de l’espérance (Marcel et Kierkegaard).

L’existentialisme n’est pas un système philosophique et ne devrait même pas être considéré comme un ensemble de doctrines. Il est probablement préférable de le classer comme un mouvement philosophique. Comme nous venons de le voir, les penseurs existentialistes ont largement divergé dans leurs évaluations de la condition humaine, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles le mouvement est difficile à définir. Bien que l’existentialisme soit un courant de pensée très diversifié donc, il est possible d’identifier certains thèmes qui réunissent les pensées des différents auteurs. Ici, ces thèmes seront brièvement présentés afin de nous fournir un cadre intellectuel nous permettant de comprendre la genèse des thérapies existentielles.

Une réflexion pratique sur la condition humaine

Ce qui caractérise le courant existentiel en philosophie est avant tout la manière de pratiquer la philosophie : au lieu d’étudier l’existence de l’homme à travers l’étude de concepts universels (la morale, la divinité, l’être, le monde…) qui s’appliqueraient de la même manière pour tous, l’existentialisme met au centre l’expérience du sujet singulier pour parvenir à une compréhension de la manière dont chacun à sa manière donne naissance ce que veut dire Etre (humain).

« Que suis-je-pour moi ? » ou plutôt « en quoi consiste mon existence ? » est en somme le sujet d’étude que posent les existentialistes. Ainsi, l’attitude existentielle commence avec un individu désorienté face à un monde confus qu’il ne peut accepter. En d’autres termes, les existentialistes partagent tous une préoccupation commune avec ce qu’on appelle la « condition humaine ». Ils prennent au sérieux des questions telles que : Pourquoi suis-je ici ? Qu’est-ce que cela signifie d’être humain ? et comment devrais-je vivre ma vie ?

Formation en psychothérapie existentielle - Albert Camus et la révolte

La grande idée de l’existentialisme est finalement assez simple : même s’il est indéniable que les êtres humains partagent des données universelles communes (le fait de se savoir mortel par exemple), chaque homme ou femme expérimente et répond à ces données universelles communes différemment, et sans que l’on puisse le prédire. Autrement dit, les sensations, pensées, besoins, désirs et émotions sont en réalité toujours subjectifs et contextuels.

Ce qui est commun aux existentialistes, c’est que, s’agissant de la condition humaine, ils ont tendance à rejeter avec véhémence des systèmes ou des théories philosophiques, religieuses ou scientifiques qui prétendent avoir des réponses concernant le sens et le but de la vie humaine non seulement considérées comme définitives et intemporelles, mais également proclamées comme s’appliquant à tous les êtres humains.

L’existentialisme s’oppose donc à l’effort de systématiser rationnellement l’existence humaine. Si l’esprit humain peut construire un système rationnel pour expliquer notre réalité, les existentialistes considèrent généralement qu’un tel effort est inutile, car la pensée ne peut jamais correspondre entièrement à la réalité. Il ne peut donc y avoir de système de l’existence satisfaisant. C’est pourquoi ils préfèrent des attitudes intellectuelles qui permettent de ressortir le caractère riche, souvent ambigu et paradoxal de notre vécu. Ainsi, à leurs yeux, l’expérience vécue, possède une valeur plus élevée que la théorie. À partir de là, ces philosophes établissent une distinction entre l’action éthique et l’action esthétique. L’action éthique vise à transformer notre réel, tandis que l’action esthétique conduit à poser un jugement sans chercher à modifier quoi que ce soit dans la réalité. Évidemment, les existentialistes critiquent fortement ceux qui essayent de tenir le réel à distance et qui privilégient le monde des concepts sur le monde de l’expérience vécue.

L’existentialisme est en fait une philosophie qui identifie le concept de « réalité » avec le concept d' »être humain ». Cette philosophie place l’individu au centre (dans un certain contexte cependant) et la seule réalité qui existe est celle à laquelle l’individu se réfère et donne un sens. Suivant cette idée, tous les êtres humains partagent des données universelles et ontologiques similaires, mais chaque homme expérimente et répond à ces données universelles communes différemment. Sur le plan personnel-ontique, comme l’a dit Heidegger, chaque homme a une réalité et une vérité différente, et par conséquent, rechercher une vérité universelle objective n’a pas de sens. Ainsi, dans l’existentialisme, la pensée n’est pas systématisée, les réponses ne sont pas données, ce qui est mis au jour ce sont des catégories de tensions existentielles, des questions permettant à chacun d’envisager son rapport au monde, c’est-à-dire son existence.

Naissance des thérapies existentielles

L’existentialisme doit sa popularité au fait d’avoir fait renouer la philosophie avec la vie concrète des personnes. Voilà enfin une approche qui nous permettrait de maîtriser nos choix moraux, nos crises existentielles et les défis constants de la réalité quotidienne.

La philosophie s’est avérée capable de fournir un forum de débat où la lumière pourrait être mise sur les changements profonds que l’humanité a dû négocier à l’ère moderne et postmoderne. Il était donc prévisible que l’existentialisme allait également générer une nouvelle forme de psychothérapie dans laquelle les considérations médicales sont remplacées par des considérations humaines plus larges et où les problèmes particuliers d’une personne sont mis en évidence dans le contexte d’une perspective existentielle générale.

Approche PEARL-devenir-psychothérapeute

La thérapie existentielle a été fondée au début du siècle dernier, d’une part par l’œuvre originale de Karl Jaspers en Allemagne qui a elle-même influencé la pensée de Heidegger et d’autre part par le travail de deux psychiatres suisses, Ludwig Binswanger et Medard Boss, qui à leur tour se sont inspirés du travail de Heidegger pour créer une méthode alternative de traitement de la détresse émotionnelle et mentale. Tous trois (Jaspers, Binswanger et Boss) sont passés de la psychiatrie à la philosophie, dans un désir de comprendre la situation, les paradoxes et les conflits humains de leurs patients. Ces premières applications de la philosophie existentialiste à la psychothérapie ont été suivies d’un certain nombre d’autres initiatives variées, comme par exemple dans les travaux de Frankl, May, Laing, Szasz, Bugental, Yalom, Spinelli et Van Deurzen.

Depuis le milieu des années 1950 le mouvement existentiel a exercé une très large influence sur les principaux autres courants de psychothérapie. Par exemple, les approches de psychologie humaniste de Carl Rogers, (Approche Centrée sur la Personne) Abraham Maslow et Fritz Perls (Gestalt) sont directement issues des principes essentiels de la philosophie phénoménologique existentielle : importance de la liberté de choix, inséparabilité entre l’observateur et l’observé, importance de l’authenticité et besoin d’empathie sont des thèmes initialement développés par la pensée existentialiste.

De même, si les néo-freudiens partagent l’idée freudienne que les expériences d’enfance sont importantes, la plupart d’entre eux ont souhaité expliquer le développement de la personnalité comme étant en lien avec la nécessité pour l’enfant de s’adapter à son milieu social et à sa culture d’appartenance, là où Freud faisait du complexe d’Oedipe la pierre de touche de sa théorie. Ainsi, les néo-freudiens du courant psychanalytique dit « culturaliste », (Karen Horney, Erich Fromm, Eric Erickson et Harry Sullivan) ont pour dénominateur commun la reconnaissance d’une tendance auto-actualisante chez l’être humain et la reconnaissance de l’importance des facteurs sociaux et relationnels en général (expériences passées et présentes) dans la formation des troubles psychiques.

Enfin, en ajoutant aux comportement et aux cognitions la dimension du sens et l’usage de la pleine conscience, les thérapies cognitivo-comportementales de 3ième génération, telle que laa thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT), puisent elles aussi dans le référentiel de pensée existentialiste.

En dépit de tout ce qui vient d’être décrit, il n’existe qu’une faible littérature traitant des thérapies spécifiquement « existentielles » et le volume d’ouvrages disponibles se réduit à une peau de chagrin pour le lecteur exclusivement francophone. Il nous faut tout de suite souligner l’existence de nombreuses variations dans la mise en pratique thérapeutique de la philosophie existentielle et de la phénoménologie. Il est certain que la pluralité des points de vue philosophiques, des approches des différents thérapeutes et de leur méthodes de travail en psychothérapie existentielle complique très sérieusement le travail d’assimilation et de compréhension.

La thérapie existentielle n’est pas une approche technique spécifique qui repose sur un seul auteur et qui propose un nouvel ensemble de règles pour la thérapie. Le fait qu’il n’y ai pas de « père fondateur unique » dans ce courant a permis une très grande variété de recherches et de pratiques, sans pour autant rejeter les approches qui existaient déjà. La psychologie existentielle n’est pas « anti » autre chose, elle est plutôt un cadre de référence qui se propose d’inclure les autres approches et permet de lisser les excès et dérives dans lesquelles elles versent parfois.

Ce qui est sous-entendu est qu’il est impropre de parler de LA thérapie existentielle, car tout comme il n’existe pas une seule forme de pensée philosophique existentielle, il n’existe pas une seule et unique psychothérapie existentielle mais véritablement des approches de thérapies existentielles spécifiques à chaque thérapeute. A ce titre, Cooper écrit : « Alors qu’Irvin Yalom invite les personnes à se confronter aux quatre enjeux ultimes de l’existence (peur, liberté, isolation et anomie), Emmy Van Deurzen les invite quand à elle à explorer les quatre dimensions de l’être-au-monde (physique, sociale, interpersonnelle, et spirituelle). Pendant que l’approche existentielle-humaniste de James Bugental insiste sur la focalisation de la personne à l’intérieur d’elle même, la Logothérapie de Viktor Frankl invite la personne à se focaliser au dehors, sur ce que la vie et les autres attendent d’elle. ».

Panorama 4 grandes familles de psychothérapies existentielles

Daseinsanalyse

Auteurs de référence Principaux points de vue
Thérapeutes :

Ludwig Binswanger
Medard Boss
Ronald D Laing

(Echos philosophiques : Jaspers, Buber et Heidegger)

Psychiatrie phénoménologique :

Notre conscience est une relation avec le monde. L’être humain est un ensemble de possibilités de relations avec la réalité (le monde), et une « maladie mentale » est la privation, le blocage ou la restriction de ces potentialités.

Ce qui est vu comme « pathologique » depuis l’extérieur témoigne en réalité d’une altération des facultés ontologiques d’ouverture au monde. Par exemple la « Mélancolie » (forme de dépression) est vue comme une altération de la temporalité (la personne est « fermée » à la possibilité de se projeter dans le futur)

Ainsi, les conduites pathologiques ont un sens : il ne faut pas les prendre comme un symptôme considéré isolément et émanant d’un « inconscient » mais comme une conduite d’ouverture ou de fermeture aux potentialités humaines (lien avec les autres, lien avec soi-même, lien avec des valeurs, liens avec le monde concret).

La démarche est « purement » phénoménologique (pas d’interprétation), le rapport thérapeutique est « humain » et vise à aider la personne à regagner un sentiment de liberté (c’est par l’intersubjectivité qu’elle choisit comment construire son monde).

Existenzanalyse / Logothérapie

Auteurs de référence Principaux points de vue
Thérapeutes :

Viktor Frankl
Alfried Längle
Elizabeth Lukas
Joel Vos
Paul Wong

(Echos philosophiques : Scheler, Jaspers et Nietzsche)

Thérapies centrées sur le sens et les valeurs :

La névrose révèle avant tout un être frustré de sens, ce qui doit conduire à penser que l’exigence fondamentale de l’homme n’est ni l’épanouissement sexuel, ni la valorisation de soi, ni le plaisir, ni le bonheur, mais la plénitude de sens.

Le sens de la vie n’est ici pas un concept abstrait, il s’agit d’authentifier ce qui donne de la valeur à l’existence et de se sentir responsable de mettre en oeuvre une attitude engagée de réponse à une vie qui nous questionne sans cesse.

La démarche thérapeutique s’appuie principalement sur le dialogue socratique pour extraire les sources de sens potentielles de situations d’existence vécues comme sources de souffrance ou de culpabilité.

Thérapie Existentielle-Phénoménologique (école britannique de psychothérapie existentielle)

Auteurs de référence Principaux points de vue
Thérapeutes :

Emmy Van Deurzen
Ernesto Spinelli
Martinez Roblès

(Echos philosophiques : Kierkegaard et Heidegger)

Thérapies centrées sur l’acceptation du caractère paradoxal de l’existence

Les difficultés du quotidien sont le reflet d’une vie inauthentique, c’est à dire la traduction de mécanismes de déni ou d’évitement de l’angoisse existentielle.

Concrètement, l’individu recherche l’adaptation aux conditions de vie au lieu de devenir l’auteur de sa propre existence tout en acceptant qu’il ne pourra jamais parvenir à aucune certitude ni aucun contrôle sur celle-ci.

La démarche thérapeutique s’appuie très largement sur la réduction phénoménologique et sur la réflexion philosophique afin de permettre l’explicitation et l’enrichissement du mode d’être au monde de la personne.

Thérapie Existentielle-Humaniste (école américaine de psychothérapie existentielle)

Auteurs de référence Principaux points de vue
Thérapeutes :

Rollo May
James Bugental
Irvin Yalom
Kirk Schneider

(Echos philosophiques : Nietzsche, Camus, Sartre et Tillich)

Thérapies centrées sur la confrontation aux enjeux existentiels

Certains troubles psychologiques, tels que les cas d’anxiété et de dépression, sont le résultat de mécanismes d’évitement mis en œuvre par un individu pour éviter de se confronter à la réalité des données de l’existence humaine (la mort, la liberté, l’isolement, l’absence de sens). Dit autrement, l’individu en souffrance est perçu comme « en résistance » face à l’existence et limite son approche du monde à ce qu’il est capable de gérer, ce qui, en conséquence, limite également sa marge de manoeuvre.

Le déroulement de la démarche thérapeutique est de signaler la présence de ces protections, de les analyser, de confronter la personne aux enjeux réels de l’existence, et de l’accompagner vers plus de liberté et donc d’authenticité.

Les points communs aux différentes approches de psychothérapie existentielle

Ayant la chance de pouvoir lire l’anglais aussi bien que le français, nous avons eu la possibilité d’étudier les ouvrages et d’échanger avec les principaux représentants en exercice du courant existentiel de la psychothérapie présentés ci-dessus, en plus de ceux d’autres personnes dont l’approche est plus « trans-disciplinaire » : Hans Cohn, Bo Jacobsen, Mick Cooper et Yaqui Andrés Martinez.

En dépit des disparités de point de vue et de pratiques évoquées à juste titre par Cooper dans l’extrait cité plus haut, certaines constantes se retrouvent chez tous ces auteurs  :

  • Ils suggèrent qu’il convient de trouver des moyens d’améliorer l’existence humaine, non pas en se tournant vers la psychologie ou la médecine, mais vers la philosophie. Ils proposent ainsi d’aider ceux qui le souhaitent à mettre de la conscience sur leur existence (comment ils se manifestent, d’où ils viennent, où ils souhaitent aller, ce qui a de la valeur à leurs yeux…) et non à guérir le fonctionnement d’un psychisme en fonction de critères dits « objectifs » et de méthodes standardisées.
  • Ils s’appuient sur la méthode descriptive proposée par la phénoménologie. La démarche consiste non pas à interpréter les contenus de pensée mais à décrire à la fois le contenu de l’expérience subjective et le processus donnant naissance à la conscience de l’expérience. Dit plus simplement, il s’agit plus de « réfléchir » ce qui est présent à la conscience mais pas encore pensé que de dévoiler un hypothétique contenu inconscient ou de libérer des affects prétendument bloqués L’entreprise vise donc beaucoup plus à développer ses capacités de réflexion et de dotation de sens que ses capacités d’introspection et d’interprétation. L’originalité est de considérer comme objet d’étude l’interaction entre ce qui émerge à la conscience et l’expérience de cette émergence.
  • Ils insistent sur la création d’un dialogue vrai de personne à personne en lieu et place du classique rapport « patient-thérapeute » qui se pratique en psychothérapie clinique (du grec Klini qui signifie « lit ») où le thérapeute « agit » sur « la matière » qu’est le patient. Ils préconisent une approche de l’être humain dépouillée de la dichotomie « santé-maladie » et des modèles de psychopathologie qui ont pour effet de bord de réduire la personne à des concepts pré-définis comme l’inconscient, l’appareil psychique, les « troubles du DSM », les schémas cognitifs, l’actualisation de soi ou la pyramide des besoins. Dans cette optique, les approches existentielles bannissent tout présupposé sur ce qui serait bon/mauvais, normal/pathologique, positif/négatif et accordent une égale importance à tous les phénomènes qui se manifestent à la conscience.
  • Ils décrivent ainsi la posture du praticien en psychothérapie existentielle comme une posture d’ouverture à l’altérité marquée par le sceau de l’humilité : il ne s’agit pas de se contenter de se déclarer « ouvert » ou de théoriser à ce sujet, mais de relever le défi de mettre de côté ses propres hypothèses et aspirations pour participer véritablement à l’expérience du monde des personnes qui viennent en consultation. Bien entendu, il ne s’agit pas pour le praticien de nier ses propres connaissances, ses impressions ou l’expertise qu’il peut apporter à la rencontre thérapeutique puisqu’« être pour » autrui consiste aussi à puiser dans sa propre sagesse, à s’appuyer sur son intuition, à utiliser ses compétences. C’est à ces conditions que la thérapie devient un véritable dialogue : une personne et un thérapeute expert d’eux-mêmes, liés par la nature humaine qu’ils partagent et acceptant tous d’eux d’être vu, touché et ainsi subjectivé par l’autre.
  • Ils abordent de manière centrale les questions de créativité, d’amour, de résilience et de transcendance mais posent en même temps des questions profondes sur la nature de l’être humain et la place inévitable de l’anxiété, de la souffrance, de l’isolement et de l’anomie dans l’existence. La ligne thérapeutique exposée invite l’être en souffrance à considérer la condition humaine dans son ensemble et à étudier son positionnement particulier par rapport à celle-ci plutôt que de focaliser ses efforts uniquement sur le dépassement à court terme des difficultés du quotidien.
  • Ils réfutent l’idée que l’être humain dans son expérience du monde puisse être réduit à un ensemble de composants élémentaires dont le fonctionnement et les interactions dépendent intégralement de lois qui lui pré-existent. L’idée est que même s’il était possible de lister toutes les propriétés essentielles d’une personne donnée, comme son QI, son génome, son taux de glucose, son niveau de névrose, d’agréabilité, d’extraversion, etc… nous serions encore bien loin de la décrire elle parce que la personne concrète qui se manifeste dans l’instant présent est plus que la somme de ses composantes. Ainsi, « quelle est l’expérience subjective qu’une personne fait de son existence ? » est la première grande question que pose une analyse existentielle.